L’oeuvre du mois
Le tableau du mois est pour une fois … une photo due à Marcel COEN (1918-2008), artiste reconnu qui a laissé de superbes portraits des artistes installés dans la région (René Seyssaud, Pierre Ambrogiani, Picasso, Ernest Engel-Pak, Louis Pons, Walter Firpo, Albert Gleizes, etc.). Il a réalisé plusieurs séries de clichés au château de Cabriès, ce qui nous donne une chronologie des aspects physiques de Mélik et du décor de son château (le Fonds Marcel Coen est déposé aux Archives municipales de la ville de Marseille). Ce cliché est une véritable mise en scène théâtrale de Mélik appuyé contre le marbre à la coquille de sa cheminée (encore visible dans la grande salle de l’étage). Il pose dans sa tenue d’artiste. Pensif et souriant, il nous regarde au milieu des ses œuvres savamment disposées. On remarque immédiatement la façade provençale d’un grand placard avec ses portes et ses vantaux qui sont métamorphosés en peinture (œuvre non localisée). La structure peinte sert aussi d’encadrement à d’autres images, au moyen d’une mise en abîme qui plaisait à Mélik. Selon ce principe il réalisera avec Marcel Coen, en 1956, un remarquable portrait où il se tient face à un miroir sur lequel il a déjà tracé son propre profil au moment où le photographe prend son reflet (voir, « La Fabrique d’une image : le photographe Marcel Coen et le peintre Edgar Mélik », sur le blog de l’association, 28 juillet 2018). Devant la cheminée on reconnait une toile remarquable de Mélik, La Femme et le pantin, HST, 80 x 60 cm, collection particulière, voir l’article sur le blog, » La Femme et le Pantin : Edgar Mélik entre le surréalisme et l’inconscient« , 31 août 2018).
Sur la cheminée une très grande toile (aujourd’hui non localisée, 120 cm de hauteur), portrait imaginaire d’un homme au chapeau, typique de Mélik avec un cou démesuré, un visage de trois quarts, le jeu savant des yeux et un fond d’inclusions abstraites. Sur les grandes portes en bois de la façade provençale, on devine un programme iconographique complet (surtout si on imagine les portes fermées elles aussi peintes). A droite, le portrait en pied d’une jeune fille avec au-dessus son décor abstrait; à gauche, une femme de profil qui est assise et tourne son visage vers nous. Dans les deux cas, les mains tiennent, selon toute apparence, un foulard blanc. Mélik a utilisé les reliefs du support en bois pour l’intégrer à son image. Par exemple les jambes de la Femme assise sont longilignes et abstraites parce qu’elles s’adaptent au montant médian de la porte (au tiers de la hauteur). D’où un angle parfaitement droit, peu naturel mais logique si on tient compte de la structure du support. Pour la jeune fille, ce sont les seins qui sont positionnés sur la traverse horizontale en relief. Ici, le support vient au secours du naturel, alors que de l’autre côté, le support à angle droit « géométrise » le naturel (voir sur le blog, « Supports et substrats des images chez Mélik« , 23 août 2016).
A l’intérieur de ces portes historiées, Mélik a placé un petit tableau abstrait (une nature morte ?) et au-dessus, entre les vantaux non peints un paysage urbain (maisons géométrisées), deux toiles non localisées.
Enfin on remarque, posés à même le sol, deux empilements de tableaux. Au centre de la façade en bois, des créatures abstraites à têtes triangulaires (non localisé). Contre une porte difficile à localiser après le réaménagement du château en musée en 1980, un remarquable tableau qui appartient aujourd’hui à une collection privée. Comme pour La Femme et le pantin, le monde de la couleur réapparait pour nous.
La valeur de cette photo est multiple. Elle nous donne une image exacte et fragmentaire de ce château habité par Mélik qui en avait fait, au sens propre et figuré, un monde fabuleux d’images. Elle nous permet de connaître de nombreux tableaux aujourd’hui non localisés. Enfin, la date de la photo (1950) fournit une limite à la datation des œuvres encore en notre possession. Ainsi la toile La Femme et le pantin fut réalisée en 1950 ou un peu avant (alors que le catalogue de 1994, Déluge mystique, la situe entre 1938 et 1945, n° 72).
L’Association des Amis du Musée Edgar Mélik remercie le galeriste qui a autorisé la reproduction de la photo de Marcel Coen.