Deux personnages étranges montent de petits chevaux, petits par leur proportion et par le caractère enfantin de leur représentation. Ce tableau est à la fois inquiétant et innocent. Quel peut bien en être le sujet ? Certains détails peuvent nous intriguer. Les cavaliers sont bien coiffés d’une couronne dont la forme rappelle celle qui accompagne le gâteau des Rois en Provence.
Alors qu’à droite le visage penché a un regard sombre, le premier personnage regarde une étoile blanche dans le ciel et exprime un étonnement naïf. En plus de son bras posé sur le grand cou de son cheval il semble bien avoir une paire d’ailes dans son dos. Les deux chevaux rappellent bien sûr la tendresse de Mélik pour ceux qu’il a eus à Cabriès et qu’il montait régulièrement.
« Lorsque nous partions, la jument « Jamina » venait offrir son affection à son maître. Dans ce monde étrange rien n’étonne. Surtout pas les propos de Mélik qui, s’adressant à la fière bête, lui affirmait : « Tu es l’impératrice des Turcs, moi, je suis leur empereur ! » (1965, Provence Magazine).
Le style de ces petits créatures familières , comme celui de tant d’autres qu’il peignit, est aussi peu académique que possible. Mélik est bien un héritier de l’esprit imaginaire d’André Breton qui célébrait l’art gaulois (catalogue d’exposition, 1955, Pérennité de l’art gaulois) et de la révolte de Georges Bataille qui se réjouissait des déformations des chevaux sur les monnaies non-romaines (« Les absurdités des peuples barbares sont en contradiction avec les arrogances scientifiques, les cauchemars avec les tracés géométriques, les chevaux-monstres imaginés en Gaule avec le cheval académique. », Documents, 1929).
Les chevaux de Mélik expriment le regard de l’enfance avec leurs formes simples comme celles des chevaux de bois : une crinière rouge, une virgule noire pour l’œil. Sans oublier la déformation du cou et du chanfrein de celui de gauche qui ne fait que traduire la pression du cadre aux limites toujours arbitraires (principe constant chez Mélik qui semble nous dire que la forme doit être dessinée en entier même quand la place manque, une logique spontanée dans le dessin d’enfant).
Le fond chez Mélik n’est jamais neutre. Il ajoute souvent un monde d’objets plus abstraits à celui du premier plan. Ici, les deux cavaliers guidés par l’étoile se détachent nettement sur trois zones horizontales : 1) des ocres d’un sol de sable et rochers où se trace la signature rouge, Melikedgar; 2) des bleus multiples qui ouvrent sur un espace irréel; 3) enfin un ciel bariolé avec des traits de couleurs disposés à la manière des enfants qui remplissent nerveusement un espace encore vide.
Avec ce tableau qui a appartenu à son ami Joseph Rey, curé de Cabriès dès 1952, Mélik réussit un équilibre improbable entre sujet religieux et détournement fantaisiste, entre l’esprit d’enfance et le sérieux d’un style unique. Fantaisie éclatante de son style et non humour de caractère. Mélik en était parfaitement conscient, qui écrivait sur un de ses cartons d’invitation toujours très littéraires : « L’humour est une forme de révolte amère, bleue, rose ou rouge, voire d’auto-défense chez certains inquiets d’eux-mêmes. A cela je préfère, moi, l’absence d’humour et l’absence d’inquiétude, absence pas-à-pas gagnée, la vie forgée d’accord avec le temps. » (carton d’invitation dédié à Madeleine Dinès, archives IMEC, Fonds Jean Follain).