Ce grand tableau (référence 49 du catalogue Déluge mystique, 1994)est parfaitement représentatif des toiles brillantes que Mélik créera pendant une décennie après son installation dans le château de Cabriès (1935-1945). C’est l’explosion somptueuse des accords de couleurs, la complexification de la composition et la lisibilité onirique de l’image qui le rendent exceptionnel.
Au premier plan, le buste et le visage hiératiques d’une femme au raffinement extrême des tissus, des bijoux et de sa coiffe rouge. Son cou gracile émerge d’une encolure aux reflets bleus. Ses bras sont étrangement relevés pour passer derrière sa tête où ses mains dorées par tous les ocres se rejoignent. Une créature pleine de séduction et de mystère. Une sphinge dont les seins et les griffes rappellent celles que peignit Gustave Moreau, le peintre magique d’André Breton. A droite, une seconde femme, à la tête renversée, nous défie de ses yeux bleus. Son corps nu s’offre à nous, son sexe irradiant de feu. Une vision rapprochée nous montre que ses lèvres rouges, Mélik les a tracées avec la matière épaisse pressée directement du tube de couleur. Le fond de cette scène est d’une extrême richesse évoquant des étoffes rares aux motifs abstraits (modernité plutôt qu’orientalisme). Au sol, un grand chapeau aux bords recourbés, au ruban noir, suggère un personnage invisible et séduit (métonymie). On distingue aussi une bouteille translucide au bleu lapis-lazuli. Rappel de l’absinthe des poètes maudits ? Cette association du raffinement et de la nudité n’est-elle pas une invitation au voyage déjà imaginée par Baudelaire :
« Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté. »
Avec ce tableau, et ceux de cette période, Mélik accomplit le rêve surréaliste de sa jeunesse parisienne. Après la guerre, il voyagera vers d’autres expériences picturales (abstraction, dissociation entre dessin et couleur, matière granuleuse, dislocation des formes).